
Des panneaux acoustiques en semelles de chaussures
Matériaux poreux, Impression 3D, Cellule unitaire, Absorption acoustique
Jean Boulvert
11/14/20246 min lire
La mode vestimentaire, ce n'est pas trop mon truc 😅
Mais quand j'ai vu les chaussures Adidas de mon beau frère, je n'ai pas pu m'empécher de me dire qu'on pourrait s'en servir pour former des panneaux acoustiques !
Certaines semelles de chaussures sont réalisées par impression 3D. Les semelles forment alors un matériau à porosités ouvertes. Elles ont donc a priori un pouvoir d'absorption du bruit aérien. Alors pourquoi ne pas récupérer les semelles de ces chaussures arrivées en fin de vie pour en faire un traitement acoustique DIY ?
Derrière la légèrté de ce sujet, c'est une occasion de présenter le savoir-faire de, Sil&Add, dans la simulation numérique notamment via COMSOL Multiphysics du comportement acoustique des matériaux poreux.


Panneaux acoustiques DIY, V. 1.0 : Les Boites d'Oeufs
Les boites d'oeufs sont parfois réutilisées pour former des panneaux acoustiques DIY.
Cela permet d'obtenir des panneauc acoustiques à partir du réemploi d’emballages et donc de limiter son impact environnemental.
Cependant, ces boites sont généralement inflammables et l'esthétique d'un panneau acoustique formé de boites d'oeufs ne fait pas l'unanimité !


Et acoustiquement ?
Les boites d'oeufs ne permettent pas d'insonoriser un mur. Autrement dit, placer des boites d'oeufs sur le mur d'une chambre ou d'un studio de musique ne permettra pas de contenir le bruit à l'intérieur de la pièce.
Elles permettent cependant d'absorber le bruit et peuvent offrir un NRC allant jusqu'à 0,7.
Comme détaillé dans l'article en lien ci-contre, l'absorption dépend fortement du modèle de boite d'oeufs utilisé et de son orientation.
Panneaux acoustiques DIY, V. 4.0 : Les semelles imprimées
Ces semelles de chaussures Adidas sont réalisées industriellement par le procédé d'impression 3D "Digital Light Synthesis". Elles sont composées d’un treillis 3D en matière polymère qui a été conçu pour offrir une meilleure expérience de marche et de course à pides. En effet, le matériau de la semelle permet de transférer une part de la force verticale vers l’horizontale et donc d'aider à se déplacer vers l'avant. De plus, la géométrie des cellules comporte un gradient qui permet de contrôler localement la raideur du matériau.
Ces semelles sont un bel exemple de l’application de recherches théoriques en mécanique des matériaux et procédés additifs !
Pour en savoir plus sur l'histoire de ces semelles et leur fabrication, voici un reportage passionant dont sont extraites les illustrations ci-contre :






Et acoustiquement ?
Le matérieau de ces semelles est avant tout un matériau conçu pour ses propriétés mécaniques.
Cependant, le treillis 3D forme un matériau à porosités ouvertes millimétriques qui est donc propice à l’absorption du bruit.
Pour mieux comprendre le potentiel acoustique du matériau, nous pouvons analyser par simulation numérique son comportement acoustique intrinsèque puis nous en servir pour prédire son comportement global.
A. Comportement acoustique intrinsèque
Le comportement acoustique intrinsèque du matériau découle de sa micro-géométrie : taille et forme de ses pores. Ce matériau peut être modélisé acoustiquement comme un fluide. Pour ce faire, nous faisons ici appel au modèle de Johnson-Champoux-Allard-Larfarge (JCAL) décrivant les fluides équivalents par six paramètres : porosité, tortuosité, longueur caractéristique visqueuse, longueur caractéristique thermique, la perméabilité visco-statique, la perméabilité thermo-statique.
Les paramètres du modèle de JCAL peuvent être obtenus par deux grandes familles de méthodes :
Caractérisation inverse. Un échantillon du matériau est caractérisé expérimentalement (ex : obtention du coefficient de réflexion et/ou de transmission en tube d'impédance), puis un algorithme remonte aux paramètres JCAL à partir des résultats de mesures.
Prédiction numérique. Une reproduction numérique du matériau, souvent réduit à une cellule unitaire très petite, est réalisée. Des calculs numériques permettent ensuite d'obtenir les paramètres JCAL (ex : méthode d'homogénéisation asymptotique deux échelles).
Ici, nous utilisons une méthode numérique.
A partir d'une photographie du matériau, une reproduction 3D numérique grossière est réalisée. Pour des projets qui demandent plus de rigueur, des méthodes de reproduction beaucoup plus précises peuvent être employées (ex : scan 3D, tomographie). Ensuite, les paramètres de fluide équivalent (porosité, tortuosité…) sont calculés via Comsol Multiphysics.


B. Comportement acoustique global
Le comportement acoustique global du matériau est sa façon de se comporter face à un champ acoustique, une fois le matériau mis en forme. Ce comportement dépend donc du matériau (son comportement intrinsèque), de son épaisseur, son agencement avec d'autres matériaux... et du champ acoustique : angle(s) d'incidence, niveau sonore (important si très élevé)...
Nous considérons ici un panneau plan et homogène de 2,5 cm d'épaisseur constitué du matériau présenté précédement, soumis à un champ diffus, et reposant sur une paroi rigide. A nouveau, il s'agit d'une pré-étude grossière de l'utilisation de semelles pour former des panneaux acoustiques. Il est possible d'affiner la modélisation en prenant en compte une géométrie plus complexe.
Le calcul est réalisé analytiquement et le coefficient d'absorption en champ diffus est présenté sur la figure ci-dessous.




L’absorption acoustique du panneau en semelles de chaussures étudiées est faible. En même temps, ce n'est pas ce que l’on attend d'une semelle de chaussure.
C. Modification du matériau pour le rendre absorbant
Tous les matériaux poreux à porosités ouvertes ne sont pas des bons absorbants. Dans le cas d'un matériau homogène, la règle est que la taille des pores doit être de l'ordre de grandeur de la sous-couche visqueuse pour que le matériau absorbe bien. De plus, il est préférable que la porosité soit élevée (>80%) afin que le coefficient d'absorption en fonction de la fréquence ne présente pas de fortes oscillations.


Le matériau des semelles de chaussures présente donc des pores trop grands pour être un bon absorbeur de bruit aérien.
Imaginons que la même cellule unitaire soit utilisée, mais qu'elle soit 10 fois plus petite comme illustré sur l'image ci-contre.
L'absorption du panneau plan et homogène de 2,5 cm d'épaisseur aurait alors le coefficient d'absorption en champ diffus présenté sur la figure ci-dessous. L'absorption est bien plus élevée qu'avec le matériau d'origine !


La taille de la cellule unitaire et sa géométrie peuvent être optimisées de sorte à maximiser la performance acoustique du matériau quelle forme. Pas très utile pour des semelles de chaussures, cela peut être très pertinent dans d'autres applications pour lesquelles propriétés mécaniques et acoustiques doivent être optimisés simultanément.